Dans le cadre de la Semaine nationale des proches aidants, Chantal Lanthier nous livre ce témoignage pour souligner l’apport précieux de son mari et de ses amies dans son quotidien.
J’ai la bougeotte
Quand notre minuteur de vie s’achève, on ressent une grande urgence de vivre, un besoin réel de célébrer la vie dans ce qu’elle possède de plus beau à offrir, une envie de savourer chaque moment. Plusieurs m’ont demandé si j’avais une “bucket list”, vous savez cette liste de souhaits que l’on veut réaliser avant de mourir. Personnellement, je n’en ai pas. Ma vie a toujours été complète, je l’ai pleinement vécue, je me suis payé mes folies et je ne ressens aucun besoin de dresser mon inventaire de fin de vie.
J’ai toutefois besoin d’être stimulée pour rester vivante à l’intérieur. Une sortie, une discussion entre amis, un souper en famille, une visite d’un jardin, etc. Plein de petites choses pour sentir que je fais, encore, partie de la vie. J’ai toujours mordu dans la vie, et ce n’est pas la maladie qui va changer ça. La pandémie m’a grandement affectée sur le plan émotionnel car je n’avais plus aucun contact avec l’extérieur. Je me morfondais et j’avais presque perdu le goût de vivre. Au moins, avec le passeport vaccinal, je peux sortir sans prendre trop de risques. C’est de loin la meilleure méthode pour éviter la réclusion totale. Je meurs à petit feu si je ne sors pas de chez moi pendant la semaine. C’est confortable de rester chez soi, mais la vie c’est d’expérimenter des choses, de rencontrer des gens, c’est la relation avec les autres.
Évidemment, ça me fatigue énormément. J’en ai parfois pour quelques jours à me remettre d’une simple sortie. Sans compter tout l’équipement que ça prend quand je sors. Toutefois, ça vaut tellement la peine! Avant, le travail me stimulait ainsi que nos projets familiaux. Je dois maintenant développer d’autres centres d’intérêts si je veux rester vivante dans ma tête et mon cœur; pour ne pas mourir avant de mourir.
Pour sortir, il faut que je sois accompagnée par quelqu’un. Jocelyn étant plutôt casanier, j’ai commencé à sortir avec mes amies (Nicole, France, Julie et Maryse). Elles viennent à tour de rôle pendant la semaine et elles m’amènent au cinéma, magasiner ou visiter des endroits mémorables. Elles me dorlotent, me crèment, me coiffent, cuisinent mes mets préférés et me font manger. Avec elles, je revis à chaque fois. Elles me stimulent avec leurs blagues, leurs anecdotes et leurs histoires. Entre nous, l’amour opère, et avec tellement de puissance! Nous partageons joies et peines, et ma relation avec chacune d’entre elles est unique. Nous formons un groupe indissociable depuis des années. Nous veillons les unes sur les autres. Ce sont les sœurs que je n’ai jamais eues.
Pendant qu’elles sont avec moi, Jocelyn en profite pour s’accorder du répit. La relation aidant-aidé s’en porte mieux ainsi. C’est pas toujours évident de synchroniser les besoins de chacun. Les personnes en santé peuvent décider de participer seules à des sorties mais moi, hélas, je suis tributaire des autres. Quand je veux sortir, il est rare que Jocelyn refuse mais je sais qu’il le fait pour me faire plaisir. Il préfèrerait demeurer à la maison.
J’ai une grande soif de vivre. J’ai la bougeotte (même si je ne marche plus). Je veux me sentir encore utile. Je désire rester dans la communication (même si je ne parle plus). Je veux profiter pleinement du temps qu’il me reste. Pour ce faire, je dois accepter que Jocelyn ne soit pas le seul à prendre soin de moi. C’est difficile lorsqu’on est vulnérable de faire confiance à d’autres personnes que son conjoint. On est bien dans nos vieilles chaussures…lol. Je dois pourtant accepter d’introduire d’autres membres à ma brigade personnelle et j’en ai toute une! Je dois faire confiance à mes amies. Apprendre à lâcher prise et à ne plus contrôler tout.
J‘ai la chance d’être curieuse, c’est formidable. Le pire pour moi, serait de ne plus m’intéresser à rien. Certaines personnes handicapées restent actives et intéressées malgré leurs incapacités. Et d’autres, au contraire, le sont beaucoup moins. Dans ma tête, je suis libre, inventive et remplie de projets. Ça me garde vivante.
C’est toute une aventure intérieure que de nager à travers la maladie mais je réussis encore à me tenir la tête hors de l’eau grâce à mon réseau d’amis indéfectibles et à mon super héros Jocelyn.
Je vous aime tant. Merci d’être là pour moi.
Chantal Lanthier
Atteinte de la SLA depuis janvier 2013